De la me*de sur une feuille | Ahsley & Ariel |

Ariel renifla avec dédain avant de grimacer doucement sous les yeux inquiets de son père. C’était bien la première fois qu’elle le voyait dans cet état, à faire les cent pas dans la petite salle d’auscultation. Le médecin devant elle semblait bien moins inquiet pourtant. Voilà deux jours qu’elle s’était gentiment fait refaire le portrait par un Black Panther beaucoup plus moche que le vrai acteur. Les journaux avaient parlé d’une agression à la morgue, pour bien faire sensation et son supérieur avait utilisé de sacrés artifice pour cacher la vérité au reste de l’hôpital. Mais la douce Ariel, elle, n’avait pas émit le moindre mot à ce sujet. Elle n’avait même pas cherché à porter plainte -pour quoi faire au juste ?- et avait simplement demandé à reprendre le travail très rapidement. Sauf qu’on lui avait bien évidemment fait comprendre que c’était loin d’être envisageable après une telle agression. Et si elle n’avait pas compris pourquoi, elle s’était pourtant bien gardée de faire le moindre commentaire. Son père lui, aurait pu remuer ciel et terre pour retrouver le coupable, elle en avait parfaitement conscience. Cependant elle ne souhaitait pas le moins du monde le voir impliqué, de près ou de loin, dans ce genre d’histoires. C’était une question d’habitude après tout ; Ariel avait l’habitude, point final. Aujourd’hui il avait d’ailleurs décidé de prendre sa journée afin de pouvoir l’accompagner à sa visite de contrôle. Elle n’avait pas saisi pourquoi il agissait de la sorte jusqu’à ce qu’elle croise son regard inquiet et qu’elle réalise qu’il avait peur pour elle. Chose étrange en somme.
De là ou elle était assise, elle pouvait voir son reflet dans un miroir. Son visage était presque totalement remis, si on mettait de côté son nez, qui, bien qu’il ait à nouveau une forme normale, avait prit une teinte violacée très étrange. Pas très sexy tout ça. Autant le dire, elle ne tomberait absolument pas sur le prince charmant aujourd’hui. En toussotant légèrement, elle écouta les recommandations du médecin ; beaucoup de repos, du calme, blablabla. Ariel se retint de bailler d’ennui. Elle avait fait les mêmes études que lui, alors tout ça, elle le savait bien !

Finalement elle fut libérée et son père lui proposa d’aller prendre un peu de bon temps au centre-commercial. Ariel se retint d’exploser de rire sous la surprise : jamais ils n’avaient fait ça tous les deux. Preuve que son père s’en rendait visiblement malade. Alors finalement, et probablement pour le rassurer un peu, elle accepta de le suivre. Mais, comme à s’en douter, à peine avaient-ils franchit les portes du centre que le téléphone de son père sonnait. La jeune femme n’en fut même pas perturbée ; de ça aussi, elle avait l’habitude. Alors, tandis qu’il lui faisait signe qu’il la rejoindrait plus tard, elle s’éloigna sans un mot. Ici, là ou tout le monde se bousculait pour des articles en solde, elle avait un refuge, un unique refuge. Une petite boutique, au premier étage, qui ne payait pas de mine et qu’elle adorait pourtant par-dessus tout : le vendeur de comics.

Ariel avait découvert les lieux quelques mois plus tôt seulement et depuis, elle y allait presque régulièrement. Presque, parce qu’avec son boulot, elle finissait parfois bien trop tard pour pouvoir y faire un tour. Cependant, à chaque fois qu’elle y allait, elle y passait bien trop de temps pour que cela semble raisonnable. Avec un petit sourire, elle pénétra à l’intérieur, humant doucement l’odeur du papier imprimé. Mauvaise idée. Son nez lui rappela subitement qu’elle avait vu trop grand et elle pinça les lèvres. Stupide. Lentement elle parcourut les allées, comme à son habitude, avant de s’arrêter sur un Batman. Elle avait toujours été plus du côté des Marvel, rejetant légèrement DC Comics et son univers trop… Hasardeux à son goût. Cependant elle reconnaissait Batman et comme elle le disait parfois, il fallait se renseigner sur la concurrence. Du bout des doigts elle l’attrapa et commença à le feuilleter lentement. Comme toujours avec les comics, les propos et les dessins la dérangèrent. Décidément, Marvel était mille fois mieux… « C’est quoi ce truc ? Un torchon ? C’est vraiment de la merde… » Elle avait murmuré, pour éviter de se faire lyncher publiquement, mais il n’en était pas moins qu’elle le trouvait vraiment nul, ce comics de la chauve-souris.

Détestable impression. Détestable sentiment que de croire que tout nous est dû dans un monde ou rien n’est jamais acquis. Un souffle chaud, une pensée fébrile, et tout s’emballe. L’encre coule doucement sur le papier, la vision de quelque chose d’agréable qui rend les mains moites. L’odeur du neuf, du propre, mais aussi de l’ancien et usé qui se mêlent dans une valse sans retenue. Et les couleurs qui s’ajoutent, progressivement, peu à peu, comme pour participer elles aussi au grand spectacle. Et bientôt elles s’impriment, plus vives, plus fortes. Elles ne craignent pas d’être trop imposante, elle sait qu’elles ne sont que le personnage secondaire de l’histoire. Sans elles, l’invention tient encore la route et en demeure tout aussi jolie et douce. Le personnage principale, le héros de l’histoire, c’est le texte, dans ces cases blanches. Il est a la fois le narrateur de ce qu’il voudrait exposer et le spectateur du lecteur. Témoin intemporel, il se penche sur ce qui semble essentiel et parfois sur ce qui l’est moins. Il donne du tonus au récit, il en contrôle chaque passage. Il récolte la gloire et aussi les foudres des lecteurs, car il est le centre d’un univers toujours différents. Avec le reste de la page, il vient danser sous la peau de celui qui lit, dans un mouvement sensuel. Puis il s’en va, disparait, pour laisser place à une autre page. Et ainsi de suite, dans un éternel recommencement.

Et Ariel continue de participer a cette danse endiablée, à cette lecture fièvreuse qui la plonge dans un autre univers, plus doux, plus calme, que celui qu’elle fréquente habituellement. Pendant un instant, elle oublie son nez qui la fait souffrir. Elle ignore également les propos des gens autour d’elle. Plus rien d’autre ne compte que cette double page qui pendant un instant à réussi à la captiver. Elle aime les propos, plus ou moins. Les dessins eux sont moins satisfaisant, trop grossiers, pas assez précis. La jeune asiatique aux cheveux bleus parvient pourtant à faire abstraction de tout cela. Elle se concentre bien davantage sur le reste. Jusqu’à ce qu’un peu trop abruptement à son goût, on la tire de sa contemplation passagère. « Excusez-moi mais c'est bien un Brave and the bold ? » Elle cligne des yeux et tourne doucement la tête. Il y a une jeune femme en face d’elle. Elle semble avoir à peu près son âge et Ariel ne peut s’empêcher d’admirer un instant ses cheveux blonds, un peu envieuse. Elle ne répond pas sur le coup, un peu perturbée d’avoir été ainsi coupée dans ses rêves étranges. Mais de toute façon l’autre ne lui prête plus attention, elle échange déjà avec quelqu’un d’autre, un homme, d’à peu près leur âge également. En les observant, Ariel réalise qu’ils ont l’air de se connaitre, d’être amis. Là aussi elle envie la jeune blonde, puisqu’elle, elle ne possède pas d’amis. Mais en même temps, son étrangeté et son manque de tact dans les relations humaines l’empêche constamment de se faire de nouveaux amis. Si bien que par habitude, elle ne prend même plus la peine de comprendre les autres ou de se lier d’amitié avec eux. Une perte de temps, puisque ce sera de toute façon voué à l’échec.

Elle avale sa salive, doucement, hésitante. C’est qu’elle à peu de paraitre bête Ariel. Alors, elle attend, encore, que finalement les deux arrête de discuter et que l’homme s’éloigne. Et ce n’est qu’une fois qu’elle le voit se diriger dans un autre rayon, plus loin, qu’elle ose enfin répondre ; « Je ne sais pas trop… Je ne suis pas super familière des DC comics. » Et elle se sent un peu stupide, elle qui d’habitude est si intelligente. Alors brusquement, elle tend le comics dans lequel elle rêvait quelques secondes plus tôt à l’autre jeune femme. Nerveusement. Comme pour se débarrasser de ce qui pourrait grossièrement ressembler à un élan de socialisation. « Tiens, tu n’as qu’à le prendre. » Drôle de geste. Drôles de propos aussi. Mais la dernière fois qu’elle avait adressé la parole à un être humain, elle s’était retrouvée avec une arme sur la tempe et le nez cassé.

Un sourcil relevé, une respiration qui se fait plus longue. Dans cette petite boutique à la moquette bon marché, aux étalages d’un blanc suspect et à l’odeur si particulière des emballages en plastique, il semble soudainement que le temps s’écoule différemment, presque plus lentement. C’est tout du moins la perception à s’en faire. Ariel souffle, respire difficilement alors qu’elle se sent peu à peu submergée par un sentiment qui lui est totalement inconnu. Dans ces yeux, la peur des autres à laissé place à cette lueur étrange alors que son corps se redresse légèrement. C’est curieux, mais elle à subitement l’impression qu’elle est en sécurité et qu’elle n’a plus rien à craindre. Elle est pourtant incapable de déterminer en quoi elle est plus à l’abris ici qu’elle ne devrait l’être à la morgue. Ici, tout aurait pu arriver, un braquage, un attentat, une bombe. Et pourtant, juste là, dans ce rayon, la jeune femme à le sentiment très étrange que tout va bien.

Il faut dire que la jeune femme en face d’elle dégage quelque chose d’un peu unique. Une sorte d’assurance, probablement mêlée à un peu d’ignorance, qui lui donne cet air si détaché et si amical. Probablement le genre de fille assez gentille pour trouver un sac à main et le ramener à sa propriétaire sans y voir le moindre mal derrière. Ariel aimait bien ce genre d’attitude, même si dans le fond, elle peinait grandement à en saisir tout les reliefs. Elle aurait pu tomber dans le panneau de l’exubérance, pourtant, au fond d’elle, quelque chose l’empêchait de croire que l’autre fille pouvait être de ce genre-là. « Tu sais, c'est pas grave de pas tout connaître. Si tu veux, je peux t'apprendre ? »  Ariel sourit. Effectivement, l’autre était tout à fait du genre à se soucier des autres par pure gentillesse. Finalement elle avait réussi à cerner une toute petite partie de la personnalité de quelqu’un, preuve apparente qu’elle commençait peu à peu à s’ouvrir au monde extérieur. Elle hocha doucement la tête. Oui, c’était un truc qu’elle voulait bien apprendre, surtout avec quelqu’un d’aussi sympathique que la jeune fille. « Je suis désolé de te demander ça, mais pourquoi ton nez semble avoir subi un sale coup ? »  Elle avala difficilement sa salive. C’était presque joliment demandé en fin de compte. Elle haussa doucement les épaules, passant une main sur sa nuque, un peu gênée. « J’ai été agressée à mon travail. » Elle ne voulait pas en dire plus, parce qu’elle se sentait encore un peu mal à l’aise avec les récents évènements. « Ah pardon, je suis désolé, j'ai oublié de me présenter : Je m'appelle Ashley Schmid, mais tout le monde m'appelle Ash' »  Elle marqua une pause avant de reprendre : « Et toi, comment tu t'appelles ? »  Ariel hocha doucement la tête. Ashley. C’était un joli prénom selon elle. Ou tout du moins sonnait-il très bien avec l’attitude que la jeune blonde dégageait. « Je m’appelle Ariel ».

Elle aurait voulu en rajouter plus, mais l’ami -du moins le supposait-elle- d’Ashley revint, visiblement très excité. Ils échangèrent tous les deux à propos de choses qu’Ariel ne saisissait absolument pas. Elle avait saisi le mot convention et ça s’arrêtait là. Un peu perdue, elle observait les deux en face d’elle en ce demandait subitement si c’était comme ça que tous les jeunes adultes de la planète devait agir et si, dans ce cas-là, elle n’avait pas de sérieux problèmes d’anormalités.  « Je sais qu'on ne se connait pas vraiment, mais cela t’intéresse de venir avec nous à cette convention la semaine prochaine ? C'est en banlieue de ville, on en aurait pour à peine une demi-heure en voiture. » Elle ouvrit la bouche bêtement et la referma bien vite. Est-ce qu’Ashley venait de l’inviter ? Sérieusement ? Faisait-elle ça par totale compassion, puisqu’elle était devant eux alors même qu’ils en parlaient ou avait-elle envie qu’elle vienne ? Dur à dire. Elle avait certes envie de croire à une gentillesse naturelle, mais elle ne savait pas quelle attitude adopter vis-à-vis de tout ça. Le seul qui ait jamais agis avec autant de douceur restait son père, depuis qu’ils avaient tous les deux emménagé à la Nouvelle Orléans et Ariel ne parvenait toujours pas à s’y adapter. Pourtant il fallait qu’elle dise quelque chose, qu’elle lui réponde. « Je… » Vaine tentative, elle dû l’admettre. Un peu perdue, elle haussa les épaules. « Je ne voudrais pas m’imposer. » Piètre formule de politesse qu’elle avait vu une fois dans une série télévisée. Preuve qu’encore une fois, cette dernière lui sauvait la mise en bien des occasions.