Dead men tell no tales [Ariel & LSD]

Divine sensation qu’est la brume du matin s’abatant sur une ville encore endormie. Divine métaphore d’une vie sereine et douce dans les rues de la Nouvelle-Orléans. De ce yeux avides, la petite créature observe, toujours avec sagesse et curiosité, les bâtisses imposantes qui bordent la route. Elle s’aventure, sans crainte et sans peur, dans le silence doucement inquiétant des lieux. Sur ses frêles épaules, un sac a dos et le reste du monde. Les cheveux attachés en une queue de cheval haute, pas une mèche qui dépassent, les yeux à peine maquillés et des lunettes de vue, elle ressemble à un lutin, curieuse petite bestiole. Aucun sourire ne vient se nicher au coin de ses lèvres tandis que ses frêles jambes la portent vers l’hôpital de la ville. Le cœur battant, comme chaque matin, elle s’apprête à rentrer dans un monde unique et qui n’appartient quasiment qu’à elle. Là ou l’odeur du chloroforme, de la stérilisation parfaite et des produits pour les mains se mêlent pour ne former plus qu’un. Là ou son seul contact avec la vie est celui de la mort.

Elle ferme les yeux et inspire une dernière bouffée d’air frais, puis doucement, elle s’avance, laissant les portes du royaume s’ouvrir sur elle. Sans prendre garde aux vivants, elle se dirige vers l’ascenseur. Elle à besoin de descendre sous terre pour pratiquer son métier. Avec une douce expression sur son visage d’enfant, elle pénètre à l’intérieur et utilise son badge. Sans vraiment le vouloir, elle commence à envisager les situations qui pourraient se présenter à elle aujourd’hui. Elle voudrait tellement pouvoir se retrouver avec beaucoup de travail sur les bras, simplement pour avoir la satisfaction de ne pas avoir son supérieur sur les épaules. Il avance lentement, comparé à elle. Et aux yeux de la douce enfant, il n’a rien d’un professionnel. Pourtant, la plupart du temps, il la laisse tranquille, s’affairant à ne-sais-je-quoi dans son bureau, s’enfermant parfois dans celui-ci pour n’en ressortir qu’à l’heure de la pause. Ariel, elle, ne prenait jamais de pause. Elle n’en éprouvait pas le moindre besoin, puisqu’elle aimait sincèrement ce qu’elle faisait.

Ce matin d’ailleurs, elle le trouva à l’attendre aux portes de l’ascenceur, la mine visiblement contrariée. « Ma fille est malade j’dois appeler pour prendre de ses nouvelles ». Elle haussa les épaules, pratiquement persuadée que ce type n’avait jamais eu la moindre fille, ni même le moindre enfant. Sans lui accorder le moindre regard ou mot, elle décida de commencer sa journée de travail en triant des dossiers. Ce n’était pas la partie la plus intéressante de son travail, mais ce devait être fait et cela avait au moins le mérite de la détendre un peu. Elle classa donc pendant une bonne heure, jusqu’à ce qu’elle remarque qu’il lui manquait un dossier. Denis Thorson avait disparu des dossiers à traiter alors que son nom était encore inscrit sur l’ordinateur qu’elle avait sous les yeux. Perplexe, elle le chercha un bon moment dans sa petite pièce d’archive, puis, elle décida d’aller voir dans le bureau de son supérieur.

Ariel n’aimait pas trop aller là-bas, mais contrainte, elle s’y précipite rapidement pour se diriger vers l’ordinateur. A cet instant quelque chose attire son regard, puis un son étrange l’interpelle. Elle relève la tête et constate que devant elle, un drôle de type pointe une arme sur elle. La jeune femme couine légèrement sous la surprise et, inconsciemment, elle lève doucement les mains. Encore un truc qu’elle voyait régulièrement à la télé. « Je pense que tu as compris qu'il serait mauvais pour ta santé si tu venais à crier. Donc si tu fermes ta grande gueule de bouffeuse de nouilles tout va bien se passer. Je ne savais pas que les bridés été arrivé jusque dans ce bled paumé au milieu des marais puant. T'as vraiment pas de bol ma petite, mais bon je suis d'humeur magnanime et tu pourrais me faire économiser quelques dollars. » Elle fronce les sourcils l’espace d’une demi-seconde et ouvre la bouche, avant de la refermer bien vite. « J'ai un tout petit service à te demander ma jolie, mais d'abord une question pour toi. Où est le dossier de monsieur Thorson ? » De nouveau elle fronce les sourcils avec indignation. Jamais elle n’avait vu un type aussi raciste à la télévision. Sauf peut-être lors de débats politiques avec ce débile de Trump. Oubliant quasiment l’arme qu’il tenait braqué sur elle, elle croisa les bras sous sa poitrine et ricana. « Tu vas redescendre sur Terre l’esclave à coton. » Ariel se félicita mentalement de sa réplique plus que raciste et hocha la tête pour approuver ses propres propos, puis, elle reprit, avec un peu moins de fermeté ; « Pour le dossier, cherche au fond de ton cul, il doit y être. Comment t’es rentré ici ? T’as volé un truc qui t’appartenait pas, j’parie ? » En vérité, elle ne savait pas ou se trouvait se foutu dossier, puisque c’était visiblement celui qu’il lui manquait quelques minutes plus tôt. Mais l’avouer aurait très sérieusement pu la mettre plus en danger qu’elle ne l’était déjà. Alors autant gagner du temps, en espérant que l’autre médecin ne débarque.

« On ne tient pas à la vie Ping-Pong ? A moins que ça soit ton frère je sais plus vous vous ressemblez tous pour moi. »  Se prendre un gobelet de soda vide dans la tronche n’avait rien de drôle ni même d’agréable. Ariel se serait davantage attendue a se retrouver découpée en morceau, poignardée ou à se faire tirer dessus d’ailleurs. Alors elle ne put qu’être surprise lorsque le plastique heurta son front avec rapidité, la faisant chanceler légèrement. Elle retint un hoquet de surprise, mais n’eut pas la moindre opportunité de protestation. La seconde d’après, elle se retrouvait à nouveau sous le joug physique du type qui avait jugé bon de la menacer pour un foutu dossier. « Où. Est. Le. Rapport. De. Décès. De. Mr. Thorson ? »  Il n’en fallait pas plus à la jeune femme pour comprendre qu’elle s’était retrouvée là au plus mauvais moment. Et, si ce type était dans le bureau de son supérieur, cela ne pouvait bien signifier qu’une seule chose : il trempait dans des affaires plus que louches. Elle fronça les sourcils, pinçant les lèvres pour retenir quelques répliques cinglantes qu’elle aurait pu lui balancer à la volée pour lui faire calmer ses ardeurs de mâle dominant. Sauf qu’apparemment, cela ne semblait en rien pouvoir le calmer et au contraire, elle avait le désagréable sentiment qu’elle n’avait fait qu’empirer sa propre situation. Merde. Elle grimaça légèrement ; l’autre commençait à lui faire légèrement mal à l’épaule. « J'aime pas spécialement faire du mal aux femmes, même si c'est des mangeuses de riz. Donc dis-moi où est le dossier et je te relâche. »  Cependant elle ne tenta pas le moins du monde de se débattre, elle savait que cela ne servirait à rien, et qu’au contraire, elle risquait davantage d’exciter l’autre.

Lentement, Ariel avala sa salive et ferma les yeux. Sa main libre se posa sur le bureau et elle toussota. « Du calme Black Panther, je ne sais pas où il est ton foutu dossier. »  Elle doutait sérieusement du fait que cela puisse lui convenir, mais c’était la vérité : elle n’avait pas le dossier et ne savait absolument pas ou il était. C’était bien d’ailleurs pour cela qu’elle était rentrée dans ce bureau-ci précisément et qu’elle était désormais en danger. En grimaçant, Ariel tenta de calmer sa respiration qui commençait doucement à s’accélérer. Elle n’aimait pas cette position, elle n’aimait pas non plus être à la merci de cette homme. Après tout, les hommes étaient tous des monstres et maintenant qu’il se savait supérieur à elle, il pouvait avoir toute les pulsions du monde. « J’ai répondu à ta question, tu pourrais au moins répondre à la mienne et m’dire comment tu es arrivé ici ? »  Là c’était juste de la curiosité. Elle était purement et simplement curieuse de savoir comment il avait réussi à rentrer dans la morgue.

La douleur fut tellement saisissante que pendant l’espace d’un instant, elle se souvint de Lisa Lee en première année d’école, qui lui avait si brusquement collé son poing dans le visage qu’elle en avait eu le nez cassé. C’était probablement ce qu’il s’était passé à l’instant ou son visage avait rencontré la surface lisse et froide du bureau de son supérieur. Ariel l’avait senti venir pourtant, au moment ou il lui avait enlevé ses lunettes. Quelque chose en elle lui avait chuchoté qu’elle aurait mal comme lorsque maman essayait de la pousser dans les escaliers quand elle était petite. Alors elle n’avait pas crié, elle n’avait pas gémi. Elle avait à peine soufflé, parce qu’elle savait, déjà à l’époque, que sinon, maman aurait été satisfaite. Aujourd’hui encore, à peine un léger soupir avait passé ses lèvres alors qu’un craquement résonnait à l’intérieur de son crâne. Jamais la jeune femme n’avait appris à endurer la douleur, elle avait simplement compris qu’il valait mieux la laisser cachée un certain temps. « Tu vas me chercher le dossier alors, tu sais certainement mieux que moi où il est rangé. » Assise sur une chaise, les lunettes à nouveau sur son nez, elle crut percevoir le gout du sang dans sa bouche. Son nez était donc bel et bien cassé. Elle frémit doucement et tenta de rester calme. Comment pourrait-elle justifier ça a ses collègues ? Puis la réalité la frappa à nouveau, dans une violente gifle ; pourrait-elle simplement ressortir de cette pièce ?

Elle avala sa salive, réprimant son envie de vomir lorsque le goût de la rouille commença à s’insinuer dans tout son corps. Elle passa une main un peu nerveuse sous son nez qu’elle ne sentait plus puis elle fixa sa main, ou du sang commençait doucement à perler. Eh bien, voilà qu’on lui offrait gratuitement un acte chirurgical. Sa mère aurait probablement ironisé en disant qu’elle le méritait. C’était peut-être le cas après tout. « TU PARLES PAS ANGLAIS LA MANGEUSE DE NEMS ? TROUVE MOI CE PUTAIN DE DOSSIER AVANT DE JE ME DÉCIDE A REPEINDRE LES MURS AVEC LE PEU DE CERVELLE QUE TU AS ! » Il avait son arme braqué sur elle. Elle pouvait en sentir le canon froid et vivifiant. Mais comble de l’ironie, elle ne parvenait pas à craindre ce type qui était contraint d’utiliser la violence pour communiquer. Comme si son besoin de crier reflétait autre chose. Elle cligna des yeux, lentement, inspira profondément, puis avança son siège pour commencer à pianoter sur le clavier. Ses yeux peinaient à suivre ce qu’elle écrivait sur l’écran, mais heureusement pour elle, elle connaissait les démarches par cœur. Elle renifla sans y prêtait gare, s’arrêtant dans son geste quand la douleur se réveilla brusquement. Sa vue se troubla un bref instant. Ariel commençait doucement à réaliser qu’elle souffrait le martyr.

Contre toute attente -et se surprenant elle-même- elle parvint pourtant à continuer ses recherches pendant un long moment, avant de sentir la panique monter en elle. Le dossier ne figurait absolument nulle part. Et ça n’avait rien de normal. « Il doit y avoir un problème, le dossier n’apparait pas alors qu’il est dans les registres d’entrées. »  Elle marqua une légère pause pour reprendre son souffle puis reprit : « C’est pas la première fois que ça fait ça. Il a du l’embarquer avec lui. Est-ce que vous voulez que je creuse davantage ou vous préférez l’attendre ? » . A nouveau elle se retint de renifler. Elle devait à tout prix garder le contrôle après tout. Cependant son nez commençait sérieusement à goûter sur le bureau et elle n’aimait pas ça du tout. Elle avait besoin de ressuyer tout ça, rapidement. « Pourrais-je avoir un mouchoir ? »  S’il lui refusait un foutu mouchoir, c’était bien un putain de raciste. Même si elle ne doutait plus de ce fait depuis bien longtemps.

Un nez cassé, ça fait mal. Très mal même. Ariel s’était déjà battue à l’école quand elle était plus jeune et s’était bien des fois retrouvée avec des bleus, le visage amochée ou la lèvre ouverte, mais jamais on ne lui avait cassé le nez de toute sa vie. Jusqu’à aujourd’hui. La douleur la lançait terriblement et elle avait l’impression que son nez grossissait et diminuait comme dans un vieux dessin animé. D’une main un peu tremblante elle attrapa un mouchoir dans la boite que lui tendait le noir raciste et elle tapota doucement ses narines dans l’espoir que son nez cesse de couler à une vitesse aussi fulgurante. Elle grimaça de nouveau mais s’abstint d’émettre le moindre son. Son instinct de survie était en train de prendre le dessus sur son horrible caractère. « Je te parle d'un dossier papier, pas informatique. Et je sais qu'il est ici, pas la peine de me faire genre qu'il est dans la réserve. Je suis désolé pour ton nez, je ne voulais pas te le casser. Fouille un peu son bureau il doit être dans le coin. » Elle eut envie de lui hurler dessus. Bon sang de crétin des années soixante, bien sûr que les dossiers étaient sous format papier, mais ils étaient tous enregistrés dans la base de données, ainsi, dès qu’un dossier était retiré des archives, la base de données était mise à jour, ce qui permettait à Ariel de savoir ou il se trouvait. Hors, là, il n’était pas dans les archives. A vrai dire, il était même absolument nulle part, car le médecin légiste n'avait pas jugé bon d’indiquer l’endroit ou il l’avait posé ensuite. Elle se mordit la lèvres, se faisant violence pour ne pas répliquer du tac au tac. Ariel entreprit donc de fouiller le bureau, ouvrant les tiroirs à la recherche du fameux dossier pour lequel elle venait de se faire refaire le portrait.

Elle le trouva finalement, non sans un certain soulagement, et l’indiqua au type en face d’elle qui semblait s’être quelque peu calmé. « Maintenant ouvre cette enveloppe, tu prends le rapport d'autopsie qu'il y a dedans, tu le lis et tu me donnes l'ancien. Ensuite on va faire un tour pour voir le macchabée. Et m'oblige pas à te frapper encore une fois Ariel. J'suis peut-être pas un gars bien, mais j'ai pas pour sport favori de tabasser une demoiselle sans défense. » C’était bien ce à quoi Ariel pensait. Des trafics dans les rapports d’autopsie pour couvrir des crimes. A nouveau elle se mordit la lèvres puis s’exécuta. Elle attrapa le faux rapport et le parcourut un instant avant de lire à haute voix la conclusion du rapport, qui devait être la partie la plus intéressante pour le mafieux en face d’elle : « De ce fait le médecin légiste exclu la possibilité d’un meurtre et atteste qu’il s’agit d’un suicide par immolation selon des faits relatifs à la position du corps sur la scène du crime et l’absence de balle dans le corps , blablabla … » C’était du n’importe quoi bien évidemment, et il ne fallait pas avoir plus de deux de Q.I pour réaliser qu’un homme avec un trou gros comme une balle de ping-pong dans le crâne n’avait pas pu s’immoler par le feux ensuite. Elle changea pourtant les rapports d’autopsie comme le lui avait demandé l’autre type et se leva. Ariel remarqua alors qu’elle avait quelques vertiges, sans doute dû à son nez et à la perte de sang qui en découlait. Attrapant un mouchoir, elle le plaqua sous ses narines et indiqua d’un geste vague de la main, la salle d’autopsie que l’on pouvait voir au travers des vitres du bureau. « Le corps est dans cette pièce. »